burn the bodies, consume my soul — polaire

Les flammes crépitaient. La peau se boursoufflait.

Les faunes saignent quand on les brûle. Quand le feu atteint leurs pieds, ils se recroquevillent comme sous l’effet de la douleur. Puis ils fondent. Les braises dévorent leurs silhouettes et leurs larmes rouges tâchent le sol. On lui avait dit qu'ils étaient différents, incapables de toute émotion. On lui avait répété que l'empathie était une faiblesse qu'ils exploiteraient. Pourtant, lorsque son père les tenait à bout de bras au-dessus du brasier, Polaire lisait l'effroi dans leurs pupilles. Elle y décelait le désespoir, la peur, la haine. Ou, en tout cas, elle pensait y lire tous ses sentiments humains.

Selon les livres, ces créatures se nourrissaient de la chair tendre des nourrissons, pillaient les réserves et étaient dépourvus de tout sens moral. Et pourtant, lorsque la lueur chaude illuminait leurs visages déformés, Polaire les trouvait étrangement réels. Ils se jetaient sur les remparts comme des furies pour tenter d'échapper à l'étreinte brûlante puis se consumaient en étincelles avant de redevenir poussière. Du haut de ses treize ans, l'enfant aux cheveux ardents observe. Bien en rang au milieu des nouvelles recrues, elle répond à la consigne simple : ne pas détourner les yeux. Le spectacle est morbide mais la fillette tint bon. Il le fallait. "Pour faire honneur à leurs prédécesseurs" "Pour les forger dans le même acier que leurs lames" "Pour ne pas rejoindre les monstres, trente mètres plus bas." L'ultime test pour se montrer digne de leurs ancêtres. Le courage ou le feu.

Fille de Magnus le terrible et de la dernière valkyrie, elle était appelée à faire de grandes choses selon la Nonna du village. L'échec n'était pas une option, qu'elle le veuille ou non. Du haut des murs, le vent gelé du Nord leur fouettait le visage. Les cendres s'invitaient dans leurs poumons muant l'inspiration en un prodigieux exploit. L'odeur nauséabonde saturait chaque rafale, les frigorifiant jusqu’aux os. Polaire grimaça.  Il ne fallait pas céder à la panique. Le rythme cardiaque devait rester lent, régulier. A sa droite, elle sentait la manche de Valérian qui trésaillait à chaque hurlement. A sa gauche, elle entendait les sanglots de ses camarades d'entrainement. Elle les connaissait par cœur, ils avaient passé ses sept dernières années ensemble à se préparer pour ce sinistre jour. Elle les connaissait par cœur, oui, et c’est pour cela qu’à cet instant la terreur l’envahissait car elle savait. Elle savait qu’ils allaient plier. Ils étaient trop faibles. Trop bons. Il fallait agir, vite. Alors, en essayant d'être la plus discrète possible, elle leur intima furieusement son ordre.

- Vous voyez l'encoche dans le sol à droite du faune borgne ? Fixez là. Concentrez-vous uniquement sur sa couleur, sa forme et tenez bon. On va s'en sortir. Ensemble.

C’est eux ou nous. Et je refuse de vous voir mourir aujourd’hui.