Hush, the adults are talking [Waylan]

Waylan, ce n'est pas vraiment son prénom. C'est celui auquel elle répond mais il ne lui appartient pas en premier lieu. Waylan Karnich, premier du nom était un homme rigide qui souriait que lorsqu'il était sur le point de faire une bonne affaire. Waylan Karnich sénior était un businessman, le genre qui s'habille bien et dont les poignées de mains sont toujours franches. Il a passé sa vie à signer des contrats, laissant les esseulés, les malheureux, les gens véreux venir à lui. Lui n'avait pas besoin d'eux, Waylan Karnich n'avait foncièrement besoin de rien. Eux, par contre, étaient prêts à se jeter à ses pieds lui offrant tout ce qu'il avaient et même ce qu'ils n'avaient pas encore dans l'espoir d'obtenir ce qu'ils n'étaient jamais censés avoir. Waylan Karnich a offert richesses, amour éternel, vengeance, jeunesse et en échange il a pris. Âmes, souvenirs, sens, émotions, il n'avait besoin de rien de tout cela mais il les prenait quand même car Waylan Karnich était un démon, un vrai, celui qui fait peur aux enfants, celui qui ronge, celui qui arrache, celui qui n'a besoin de rien mais qui veut quand même parce qu'il a le pouvoir de vouloir et de prendre.

Waylan Karnich est mort des mains d'un chasseur de démon, laissant derrière lui une famille pas vraiment affectée par la tragédie, vivant confortablement pendant plusieurs générations sur la fortune amassée, se fondant peut à peu dans le paysage aristocratique de Maeius. Les temps changent, les mœurs aussi, les démons sont bien vus à condition qu'ils ne fassent pas trop de vagues, qu'on aperçoive pas leurs dents pointues à proximité des gorges lisses de ceux qui n'ont rien fait.

Waylan Karnich, junior cette fois, est née à peu près au moment où la fortune de sa famille a commencé son déclin, comme un mauvais présage, une ombre sur le tableau doré. On a donné au nourrisson le nom de celui qui avait offert la gloire à sa lignée, sûrement par superstition. Waylan, un nom qui ne lui va pas tant que ça, révélateur de qui elle se doit d'être, presque accusateur mais pas vraiment qui elle est. Quand on y pense, un prénom c'est juste un son à qui on a donné un sens et dont quelqu'un a appris à s'identifier.

Waylan n'a jamais réellement appris à s'identifier à Waylan, sauf quand les deux petites syllabes étaient prononcées avec agacement. Son prénom, lorsqu'il était prononcé comme étant le sien et non pas celui de son ancêtre un peu crapuleux , était toujours teinté d'agacement, le son était rapide, sec, comme un coup qu'on donne. "Waylan, tiens toi droite", "Waylan, qu'est-ce que c'est que cette tenue ?", "Waylan, mêles toi de tes affaires.", "Waylan, chut."

Chut. Pas vraiment un mot, plus un son qu'autre chose. Le bruit du vent, le bruissement imperceptible de l'air et comme l'air est partout, le bruit du silence. "Chut", ce n'est pas un son qui va particulièrement bien à Waylan. Waylan a toujours fait du bruit, trop de bruit, comblant tant bien que mal l'absence de joie dans les couloirs immenses du manoir Karnich. Lorsqu'elle ne faisait pas de bruit, même les couloirs lui disait "chut", rappel douloureux qu'elle était seule, qu'elle n'avait ni frères et sœurs, ni amis et que les adultes étaient trop occupés à parler entre eux pour lui prêter attention.

Bientôt, les Karnich ne seraient plus. Les héritiers potentiels sont des héritières, Waylan et deux cousines qui ne lui prêtent pas attention. Les caisses sont quasi-vides, porter un prénom pour porter chance ça ne porte manifestement pas ses fruits et des aristocrates pauvres, des femmes qui plus est, n'ont pas le droit de garder leur nom de famille si elles se marient.

Waylan va se marier, ça a été décidé à ses 6 ans. Elle a déjà rencontré son fiancé plusieurs fois, il a son âge, il n'est pas spécialement laid et il s'exprime bien mais il est ennuyeux à mourir, le genre qui se lève tous les jours à la même heure et qui pourrait lui dire "Waylan, chut."

Bientôt, Karnich ne va plus être son nom comme Waylan n'a jamais réellement été son prénom. Elle ne veut pas se marier, elle veut continuer à faire trop de bruit et puis tant pis si elle est pauvre, tant pis si son nom ne vaut plus rien. Sa famille n'est pas d'accord avec ça mais sa famille, c'est des démons, des vrais, ceux qui font peur aux enfants, ceux qui n'ont plus rien, pas même le pouvoir de vouloir et de prendre mais qui prennent quand même.